Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
LES DIEUX ONT SOIF

charmant accusait l’Ami du peuple d’indolence. Il disait :

— Tu dors, Marat, et les fédéralistes nous forgent des fers !

À peine Élodie eut-elle tourné les yeux sur lui :

— Venez, Évariste ! fit-elle vivement.

La foule, disait-elle, l’effrayait, et elle craignait de s’évanouir dans la presse.

Ils se quittèrent sur la place de la Nation, en se jurant un amour éternel.


Ce matin-là, de bonne heure, le citoyen Brotteaux avait fait à la citoyenne Gamelin le présent magnifique d’un chapon. C’eût été de sa part une imprudence de dire comment il se l’était procuré : car il le tenait d’une dame de la Halle à qui, sur la pointe Eustache, il servait parfois de secrétaire, et l’on savait que les dames de la Halle nourrissaient des sentiments royalistes et correspondaient avec les émigrés. La citoyenne Gamelin avait reçu le chapon d’un cœur reconnaissant. On ne voyait guère de telles pièces alors : les vivres enchérissaient. Le peuple craignait la famine ; les aristocrates, disait-on, la souhaitaient, les accapareurs la préparaient.

Le citoyen Brotteaux, prié de manger sa part