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LES DIEUX ONT SOIF

aquarelles bien réussies il tenait une fortune sous son bras. « Desmahis les gravera, pensait-il. Nous éditerons nous-mêmes le nouveau jeu patriotique et nous sommes sûrs d’en vendre dix mille, à vingt sols chaque, en un mois. »

Et, dans son impatience de réaliser ce projet, il se dirigea à grands pas sur le quai de la Ferraille, où logeait Desmahis, au-dessus du vitrier.

On entrait par la boutique. La vitrière avertit Gamelin que le citoyen Desmahis n’était pas chez lui, ce qui ne pouvait beaucoup surprendre le peintre, qui savait que son ami était d’humeur vagabonde et dissipée, et qui s’étonnait qu’on pût graver autant et si bien qu’il le faisait avec aussi peu d’assiduité. Gamelin résolut de l’attendre, un moment. La femme du vitrier lui offrit un siège. Elle était morose et se plaignait des affaires qui allaient mal, quoiqu’on eût dit que la Révolution, en cassant les carreaux, enrichissait les vitriers.

La nuit tombait : renonçant à attendre son camarade, Gamelin prit congé de la vitrière. Comme il passait sur le Pont-Neuf, il vit déboucher du quai des Morfondus des gardes nationaux à cheval qui refoulaient les passants, portaient des torches et, avec un grand cliquetis de sabres,