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LES DIEUX ONT SOIF

— C’est bon pendant les froids, dit Julie ; mais, au printemps, les exhalaisons de cette terre empoisonneront la moitié de la ville.

La Thévenin reçut ses deux amies dans un salon antique dont les canapés et les fauteuils étaient dessinés par David. Des bas-reliefs romains, copiés en camaïeu, régnaient sur les murs, au-dessus de statues, de bustes et de candélabres peints en bronze. Elle portait une perruque bouclée, d’un blond de paille. Les perruques, à cette époque, faisaient fureur : on en mettait six ou douze ou dix-huit dans les corbeilles de mariage. Une robe « à la cyprienne » enfermait son corps comme un fourreau.

S’étant jeté un manteau sur les épaules, elle mena ses amies et le graveur dans le jardin, que Ledoux lui dessinait et qui n’était encore qu’un chaos d’arbres nus et de plâtras. Elle y montrait toutefois la grotte de Fingal, une chapelle gothique avec une cloche, un temple, un torrent.

— Là, dit-elle, en désignant un bouquet de sapins, je voudrais élever un cénotaphe à la mémoire de cet infortuné Brotteaux des Ilettes. Je ne lui étais pas indifférente. Il était aimable. Les monstres l’ont égorgé : je l’ai pleuré. Desmahis, vous me dessinerez une urne sur une colonne.

Et elle ajouta presque aussitôt :