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LES DIEUX ONT SOIF

de feu retentit : Gamelin voit Robespierre tomber la mâchoire fracassée. Lui-même, il saisit son couteau, le couteau de six sous qui, un jour de famine, avait coupé du pain pour une mère indigente, et que, dans la ferme d’Orangis, par un beau soir, Élodie avait gardé sur ses genoux, en tirant les gages ; il l’ouvre, veut l’enfoncer dans son cœur : la lame rencontre une côte et se replie sur la virole qui a cédé, et il s’entame deux doigts. Gamelin tombe ensanglanté. Il est sans mouvement, mais il souffre d’un froid cruel, et, dans le tumulte d’une lutte effroyable, foulé aux pieds, il entend distinctement la voix du jeune dragon Henry qui s’écrie :

— Le tyran n’est plus ; ses satellites sont brisés. La Révolution va reprendre son cours majestueux et terrible.

Gamelin s’évanouit.

À sept heures du matin, un chirurgien envoyé par la Convention le pansa. La Convention était pleine de sollicitude pour les complices de Robespierre : elle ne voulait pas qu’aucun d’eux échappât à la guillotine. L’artiste peintre, ex-juré, ex-membre du conseil général de la Commune fut porté sur une civière à la Conciergerie.