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LES DIEUX ONT SOIF

buvait, on jouait, on faisait l’amour et les rixes étaient fréquentes. Un soir, un buveur, au bruit d’une chevauchée sur le pavé du carrefour, souleva le rideau et, reconnaissant le commandant en chef de la garde nationale, le citoyen Hanriot, qui passait au galop avec son état-major, murmura entre ses dents :

— Voilà la bourrique à Robespierre !

À ce mot, Julie poussa un grand éclat de rire.

Mais un patriote à moustaches releva vertement le propos :

— Celui qui parle ainsi, s’écria-t-il, est un f… aristocrate, que j’aurais plaisir à voir éternuer dans le panier à Samson. Sachez que le général Hanriot est un bon patriote qui saura défendre, au besoin, Paris et la Convention. C’est cela que les royalistes ne lui pardonnent point.

Et le patriote à moustaches, dévisageant Julie qui ne cessait pas de rire :

— Toi, blanc-bec, prends garde que je ne t’envoie mon pied dans le derrière, pour t’apprendre à respecter les patriotes.

Cependant des voix s’élevaient :

— Hanriot est un ivrogne et un imbécile !

— Hanriot est un bon jacobin ! Vive Hanriot !

Deux partis se formèrent. On s’aborda, les poings s’abattirent sur les chapeaux défoncés,