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LES DIEUX ONT SOIF

Évariste accrocha son chapeau au portemanteau, changea son habit bleu contre une veste de travail et s’assit devant son chevalet. Depuis quelques jours il esquissait au fusain une Victoire déposant une couronne sur le front d’un soldat mort pour la patrie. Il eût traité ce sujet avec enthousiasme, mais le Tribunal dévorait toutes ses journées, prenait toute son âme, et sa main déshabituée du dessin se faisait lourde et paresseuse.

Il fredonna le Ça ira.

— Tu chantes, mon enfant, dit la citoyenne Gamelin ; tu as le cœur gai.

— Nous devons nous réjouir, ma mère : il y a de bonnes nouvelles. La Vendée est écrasée, les Autrichiens défaits ; l’armée du Rhin a forcé les lignes de Lautern et de Wissembourg. Le jour est proche où la République triomphante montrera sa clémence. Pourquoi faut-il que l’audace des conspirateurs grandisse à mesure que la République croît en force et que les traîtres s’étudient à frapper dans l’ombre la patrie, alors qu’elle foudroie les ennemis qui l’attaquent à découvert ?

La citoyenne Gamelin, en tricotant un bas, observait son fils par-dessus ses lunettes.

— Berzélius, ton vieux modèle, est venu réclamer les dix livres que tu lui devais : je les