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LES DIEUX ONT SOIF

duire, traînés au Tribunal sur l’exemple qu’ils avaient donné, ils n’étaient pas moins la jeunesse éclatante de la Révolution ; ils en avaient été le charme et la gloire. Ce juge qui va les interroger avec une partialité savante ; ce blême accusateur, qui, là, devant sa petite table, prépare leur mort et leur déshonneur ; ces jurés, qui voudront tout à l’heure étouffer leur défense ; ce public des tribunes, qui les couvre d’invectives et de huées, juge, jurés, peuple, ont naguère applaudi leur éloquence, célébré leurs talents, leurs vertus. Mais ils ne se souviennent plus.

Évariste avait fait jadis son dieu de Vergniaud, son oracle de Brissot. Il ne se rappelait plus, et, s’il restait dans sa mémoire quelque vestige de son antique admiration, c’était pour concevoir que ces monstres avaient séduit les meilleurs citoyens.

En rentrant, après l’audience dans sa maison, Gamelin entendit des cris déchirants. C’était la petite Joséphine que sa mère fouettait pour avoir joué sur la place avec des polissons et sali la belle robe blanche qu’on lui avait mise pour la pompe funèbre du citoyen Trubert.