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LES DIEUX ONT SOIF

Il s’engagea sur les quais déserts, avec elle. Serrée à son bras, elle disait : — Ce n’est pas que je l’aime, le roi ; vous pensez bien que je ne l’ai jamais connu et peut-être n’était-il pas un homme très différent des autres. Mais ceux-ci sont méchants. Ils se montrent cruels envers les pauvres filles. Ils me tourmentent, me vexent et m’injurient de toutes les manières ; ils veulent m’empêcher de faire mon métier. Je n’en ai pas d’autre. Vous pensez bien que si j’en avais un autre, je ne ferais pas celui-là… Qu’est-ce qu’ils veulent ? Ils s’acharnent contre les petits, les faibles, le laitier, le charbonnier, le porteur d’eau, la blanchisseuse. Ils ne seront contents que lorsqu’ils auront mis contre eux tout le pauvre monde.

Il la regarda : elle avait l’air d’un enfant. Elle ne ressentait plus de peur. Elle souriait presque, légère et boitillante. Il lui demanda son nom. Elle répondit qu’elle se nommait Athénaïs et avait seize ans.

Brotteaux lui offrit de la conduire où elle voudrait. Elle ne connaissait personne à Paris ; mais elle avait une tante, servante à Palaiseau, qui la garderait chez elle.

Brotteaux prit sa résolution :

— Viens, mon enfant, lui dit-il.

Et il l’emmena, appuyée à son bras.