Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
172
LES DIEUX ONT SOIF

geait le substitut de l’accusateur public, dans un costume semblable. Le greffier s’assit entre le Tribunal et le fauteuil vide de l’accusé. Gamelin voyait ces hommes différents de ce qu’il les avait vus jusque-là, plus beaux, plus graves, plus effrayants, bien qu’ils prissent des attitudes familières, feuilletant des papiers, appelant un huissier ou se penchant en arrière pour entendre quelque communication d’un juré ou d’un officier de service.

Au-dessus des juges, les tables des Droits de l’Homme étaient suspendues ; à leur droite et à leur gauche, contre les vieilles murailles féodales, les bustes de Le Peltier Saint-Fargeau et de Marat. En face du banc des jurés, au fond de la salle, s’élevait la tribune publique. Des femmes en garnissaient le premier rang, qui, blondes, brunes ou grises, portaient toutes la haute coiffe dont le bavolet plissé leur ombrageait les joues ; sur leur poitrine, auxquelles la mode donnait uniformément l’ampleur d’un sein nourricier, se croisait le fichu blanc ou se recourbait la bavette du tablier bleu. Elles tenaient les bras croisés sur le rebord de la tribune. Derrière elles on voyait, clairsemés sur les gradins, des citoyens vêtus avec cette diversité qui donnait alors aux foules un caractère étrange et pittoresque. À droite, vers l’entrée,