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LES DIEUX ONT SOIF

la violence et l’incertitude du temps n’excitaient pas leur ardeur. Quand il fit tout à fait nuit, Jean Blaise proposa de jouer dans la salle basse aux jeux innocents. Élodie demanda la « chasse au cœur » qui fut acceptée de toute la compagnie. Sur les indications de la jeune fille, Philippe Desmahis traça à la craie sur les meubles, les portes et les murs sept cœurs, c’est-à-dire un de moins qu’il n’y avait de joueurs, car le vieux Brotteaux s’était mis obligeamment de la partie. On dansa en rond « La Tour, prends garde », et sur un signal d’Élodie, chacun courut mettre la main sur un cœur. Gamelin, distrait et maladroit, les trouva tous pris : il donna un gage, le petit couteau acheté six sous à la foire Saint-Germain et qui avait coupé le pain pour la mère indigente. On recommença et ce furent tour à tour Blaise, Élodie, Brotteaux et la Thévenin qui ne trouvèrent pas de cœur et donnèrent chacun leur gage, une bague, un réticule, un petit livre relié en maroquin, un bracelet. Puis, les gages furent tirés au sort sur les genoux d’Élodie et chacun, pour racheter le sien, dut montrer ses talents de société, chanter une chanson ou dire des vers. Brotteaux récita le discours du patron de la France, au premier chant de la Pucelle :

Je suis Denis et saint de mon métier.
J’aime la Gaule…