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LES DIEUX ONT SOIF

bouillon-blanc, dont les fleurs se serrent en épis autour de la tige, la campanule, portant suspendues en étages ses clochettes lilas tendre, les grêles rameaux de la verveine odorante, l’hièble, la menthe, la gaude, la mille-feuille, toute la flore champêtre de l’été finissant. Et, parce que Jean-Jacques avait mis la botanique à la mode parmi les filles des villes, elles savaient toutes trois des fleurs les noms et les amours. Comme les corolles délicates, alanguies de sécheresse, s’effeuillaient dans ses bras et tombaient en pluie à ses pieds, la citoyenne Élodie soupira :

— Elles passent déjà, les fleurs !

Tous se mirent à l’œuvre et s’efforcèrent d’exprimer la nature telle qu’ils la voyaient ; mais chacun la voyait dans la manière d’un maître. En peu de temps Philippe Dubois eut troussé dans le genre de Hubert Robert une ferme abandonnée, des arbres abattus, un torrent desséché. Évariste Gamelin trouvait au bord de l’Yvette les paysages du Poussin. Philippe Desmahis, devant un pigeonnier, travaillait dans la manière picaresque de Callot et de Duplessis. Le vieux Brotteaux, qui se piquait d’imiter les flamands, dessinait soigneusement une vache. Élodie esquissait une chaumière, et son amie Julienne, qui était fille d’un marchand de couleurs, lui faisait sa palette. Des enfants,