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LES DIEUX ONT SOIF

citoyenne annonçait sans vergogne « tierce au roi ».

Apprenant que son fils était juré, elle l’embrassa avec transports, songeant que c’était pour l’un et l’autre beaucoup d’honneur et que désormais tous deux mangeraient tous les jours.

— Je suis heureuse et fière d’être la mère d’un juré, dit-elle. C’est une belle chose que la justice, et la plus nécessaire de toutes : sans justice, les faibles seraient vexés à chaque instant. Et je crois que tu jugeras bien, mon Évariste : car, dès l’enfance, je t’ai trouvé juste et bienveillant en toutes choses. Tu ne pouvais souffrir l’iniquité et tu t’opposais selon tes forces à la violence. Tu avais pitié des malheureux, et c’est là le plus beau fleuron d’un juge… Mais, dis-moi, Évariste, comment êtes-vous habillés dans ce grand tribunal ?

Gamelin lui répondit que les juges se coiffaient d’un chapeau à plumes noires, mais que les jurés n’avaient point de costume uniforme, qu’ils portaient leur habit ordinaire.

— Il vaudrait mieux, répliqua la citoyenne, qu’ils portassent la robe et la perruque : ils en paraîtraient plus respectables. Bien que vêtu le plus souvent avec négligence, tu es beau et tu pares tes habits ; mais la plupart des hommes ont besoin de quelque ornement pour paraître