Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
LES DIEUX ONT SOIF

Quel spectacle affligeant ! Les représentants d’un peuple libre devraient-ils siéger sous les lambris d’un despote ? Les mêmes lustres allumés naguère sur les complots de Capet et les orgies d’Antoinette éclairent aujourd’hui les veilles de nos législateurs. Cela fait frémir la nature.

— Mon ami, félicitez le citoyen Gamelin, répondit-elle ; il est nommé juré au Tribunal révolutionnaire.

— Mes compliments, citoyen ! fit Henry. Je suis heureux de voir un homme de ton caractère investi de ces fonctions. Mais, à vrai dire, j’ai peu de confiance en cette justice méthodique, créée par les modérés de la Convention, en cette Némésis débonnaire qui ménage les conspirateurs, épargne les traîtres, ose à peine frapper les fédéralistes et craint d’appeler l’Autrichienne à sa barre. Non, ce n’est pas le Tribunal révolutionnaire qui sauvera la République. Ils sont bien coupables, ceux qui, dans la situation désespérée où nous sommes, ont arrêté l’élan de la justice populaire !

— Henry, dit la citoyenne Rochemaure, passez-moi ce flacon…


En rentrant chez lui, Gamelin trouva sa mère et le vieux Brotteaux qui faisaient une partie de piquet à la lueur d’une chandelle fumeuse. La