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LES DIEUX ONT SOIF

saires de l’étranger, de croupiers et de femmes galantes.

Elle insista pour que le citoyen Gamelin la conduisît chez l’Ami du peuple, qui habitait non loin, dans la rue des Cordeliers, près de l’église. Après avoir fait un peu de résistance, le peintre céda au vœu de la citoyenne.

Le dragon Henry, invité à se joindre à eux, refusa, alléguant qu’il entendait garder sa liberté, même à l’égard du citoyen Marat, qui, sans doute, avait rendu des services à la République, mais maintenant faiblissait : n’avait-il pas, dans sa feuille, conseillé la résignation au peuple de Paris ?

Et le jeune Henry, d’une voix mélodieuse, avec de longs soupirs, déplora la République trahie par ceux en qui elle avait mis son espoir : Danton repoussant l’idée d’un impôt sur les riches, Robespierre s’opposant à la permanence des sections, Marat dont les conseils pusillanimes brisaient l’élan des citoyens.

— Oh ! s’écria-t-il, que ces hommes paraissent faibles auprès de Leclerc et de Jacques Roux !… Roux ! Leclerc ! Vous êtes les vrais amis du peuple !

Gamelin n’entendit point ces propos, qui l’eussent indigné : il était allé dans la pièce voisine passer son habit bleu.