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LES DIEUX ONT SOIF

sur lui de patriotisme ; depuis quelque temps, il dénonçait les démagogues presque autant que les modérés. Après avoir excité le peuple à pendre les accapareurs dans leur boutique pillée, il exhortait les citoyens au calme et à la prudence ; il devenait un homme de gouvernement.

Malgré certains bruits qu’on semait sur lui comme sur tous les autres hommes de la Révolution, ces écumeurs d’or ne le croyaient pas corruptible, mais ils le savaient vaniteux et crédule : ils espéraient le gagner par des flatteries et surtout par une familiarité condescendante, qu’ils croyaient de leur part la plus séduisante des flatteries. Ils comptaient, grâce à lui, souffler le froid et le chaud sur toutes les valeurs qu’ils voudraient acheter et revendre, et le pousser à servir leurs intérêts en croyant n’agir que dans l’intérêt public.

Grande appareilleuse, bien qu’elle fût encore dans l’âge des amours, la citoyenne Rochemaure s’était donné la mission de réunir le législateur journaliste au banquier et sa folle imagination lui représentait l’homme des caves, aux mains encore rougies du sang de Septembre, engagé dans le parti des financiers dont elle était l’agent, jeté par sa sensibilité même et sa candeur en plein agio, dans ce monde, qu’elle chérissait, d’accapareurs, de fournisseurs, d’émis-