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LES DIEUX ONT SOIF

les toiles du peintre, souriant, se récriant, portée à l’admiration par la beauté de l’artiste, et flattant pour être flattée.

— Qu’est-ce, demanda la citoyenne, que ce tableau si noble et si touchant d’une femme douce et belle près d’un jeune malade ?

Gamelin répondit qu’il fallait y voir Oreste veillé par Électre sa sœur, et que, s’il l’avait pu achever, ce serait peut-être son moins mauvais ouvrage.

— Le sujet, ajouta-t-il, est tiré de l’Oreste d’Euripide. J’avais lu, dans une traduction déjà ancienne de cette tragédie, une scène qui m’avait frappé d’admiration : celle où la jeune Électre, soulevant son frère sur son lit de douleur, essuie l’écume qui lui souille la bouche, écarte de ses yeux les cheveux qui l’aveuglent et prie ce frère chéri d’écouter ce qu’elle lui va dire dans le silence des Furies… En lisant et relisant cette traduction, je sentais comme un brouillard qui me voilait les formes grecques et que je ne pouvais dissiper. Je m’imaginais le texte original plus nerveux et d’un autre accent. Éprouvant un vif désir de m’en faire une idée exacte, j’allai prier Monsieur Gail, qui professait alors le grec au Collège de France (c’était en 91), de m’expliquer cette scène mot à mot. Il me l’expliqua comme je le lui demandais et je