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l’effet d’un pur mouvement de la chair et du sang, et par naturelle bonhomie.

C’est qu’il s’était formé du mal une idée simple et sensible. Il la rapportait uniquement aux organes de l’homme et à ses sentiments naturels, sans la compliquer de tous les préjugés qui prennent dans les codes une consistance artificielle. J’ai dit qu’il n’avait pas formé de système, étant peu enclin à résoudre les difficultés par les sophismes. Il est visible qu’une première difficulté l’arrêta net dans ses méditations sur les moyens d’établir le bonheur ou seulement la paix sur la terre. Il était persuadé que l’homme est naturellement un très méchant animal, et que les sociétés ne sont abominables que parce qu’il met son génie à les former. Il n’attendait par conséquent aucun bien d’un retour à la nature. Je doute qu’il eût changé de sentiment s’il avait assez vécu pour lire l’Émile. Quand il mourut, Jean-Jacques n’avait pas encore remué le monde par l’éloquence de la sen-