Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme une importune, et ne lui donnent accès que lorsque l’accusation a revêtu ses armes et composé son visage, et qu’enfin, à force d’artifices, elle a pris l’air d’une belle Minerve. Par l’esprit même de leur profession, ils sont enclins à voir un coupable dans tout accusé, et leur zèle semble si effrayant à certains peuples européens qu’ils les font assister, dans les grandes causes, par une dizaine de citoyens tirés au sort. En quoi il apparaît que le hasard, dans son aveuglement, garantit mieux la vie et la liberté des accusés que ne le peut faire la conscience éclairée des juges. Il est vrai que ces magistrats bourgeois, tirés à la loterie, sont tenus en dehors de l’affaire dont ils voient seulement les pompes extérieures. Il est vrai encore, qu’ignorant les lois, ils sont appelés, non à les appliquer, mais seulement à décider d’un seul mot s’il y a lieu de les appliquer. On dit que ces sortes d’assises donnent parfois des résultats absurdes, mais que les peuples qui les ont