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— À la bonne heure ! dit mon bon maître. Mais j’aimerais mieux que les juges fissent l’aveu qu’ils punissent les coupables par pure nécessité et seulement pour faire des exemples sensibles. Dans ce cas ils s’en tiendraient au nécessaire. Mais s’ils s’imaginent, en punissant, payer au coupable son dû, on voit jusqu’où cette délicatesse peut les entraîner, et leur probité même les rend inexorables, car on ne saurait refuser aux gens ce qu’on sait leur devoir. Cette maxime, monsieur, me fait horreur. Elle a été établie avec la dernière rigueur par un philosophe habile, du nom de Menardus, qui prétend que ne pas punir un malfaiteur, c’est lui faire tort et le priver méchamment du droit qu’il a d’expier sa faute. Il a soutenu que les magistrats d’Athènes, en faisant boire la ciguë à Socrate, avaient excellemment travaillé à la purification de l’âme de ce sage. Ce sont là d’épouvantables rêveries. Je souhaite que la justice criminelle ait moins de sublimité.