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et les instruisit à proportionner l’idée de bonheur à leur misérable nature et à leurs faibles forces. Le bon saint François, plus tendre et plus sensuel, les conduisit à la félicité par le rêve intérieur, et voulut qu’à son exemple les âmes se répandissent en joie dans les abîmes d’une solitude enchantée. Ils furent bons tous deux, l’un de détruire les illusions décevantes, l’autre de créer les illusions dont on ne s’éveille pas.

Mais il ne faut rien exagérer. M. l’abbé Coignard n’égala certes ni par l’action ni même par la pensée le plus audacieux des sages et le plus ardent des saints. Les vérités qu’il découvrait, il ne savait pas s’y jeter comme dans un gouffre. Il garda en ses explorations les plus hardies l’attitude d’un promeneur paisible. Il ne s’exceptait pas assez du mépris universel que lui inspiraient les hommes. Il lui manqua cette illusion précieuse qui soutenait Bacon et Descartes, de croire en eux-mêmes après n’avoir cru en personne. Il douta de la vérité qu’il portait