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erreurs et que les spectres de nos passions et de nos craintes n’eurent point d’empire sur lui, on doit reconnaître encore que cet esprit excellent eut des vues originales sur la nature et sur la société, et que, pour étonner et ravir les hommes par une vaste et belle construction mentale, il lui manqua seulement l’adresse ou la volonté de jeter à profusion les sophismes comme un ciment dans l’intervalle des vérités. C’est de cette manière seulement qu’on édifie les grands systèmes de philosophie qui ne tiennent que par le mortier de la sophistique. L’esprit de système lui fit défaut, ou (si l’on veut) l’art des ordonnances symétriques. Sans quoi il paraîtrait ce qu’il était en effet, c’est-à-dire le plus sage des moralistes, une sorte de mélange merveilleux d’Épicure et de saint François d’Assise.

Ce sont là, à mon sens, les deux meilleurs amis que l’humanité souffrante ait encore rencontrés dans sa marche désorientée. Épicure affranchit les âmes des vaines terreurs