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l’exquise modestie de son âme. Si pourtant il n’était pas sans savoir qu’il avait du talent, il savait aussi que c’est ce qui se pardonne le moins. On passe aisément aux gens en vue la bassesse de l’âme et la perfidie du cœur. On souffre volontiers qu’ils soient lâches ou méchants, et leur fortune même ne leur fait pas trop d’envieux si l’on voit qu’elle est imméritée.

Les médiocres sont tout de suite soulevés et portés par les médiocrités environnantes qui s’honorent en eux. La gloire d’un homme ordinaire n’offense personne. Elle est plutôt une secrète flatterie au vulgaire. Mais il y a dans le talent une insolence qui s’expie par les haines sourdes et les calomnies profondes. Si Jacques Tournebroche renonça sciemment au pénible honneur d’irriter par un éloquent écrit la foule des sots et des méchants, on ne peut qu’admirer son bon sens et le tenir pour le digne élève d’un maître qui connaissait les hommes. Quoi qu’il en soit, le manuscrit de Jacques