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marchands qui ont pris boutique à loyer et payent la taxe. Rien n’est plus contraire à l’ordre et à la bonne police. L’audace de ces traîne-misère est inouïe. Jusqu’où irait-elle si on ne la réprimait ? L’an passé, un paysan de Montrouge ne venait-il pas arrêter devant la rôtisserie de la Reine Pédauque sa charrette pleine de pigeons qu’il vendait tout cuits deux liards et un sou moins cher que je ne vends les miens. Et le rustre criait d’une voix à briser les vitres de ma boutique : « À cinq sous les beaux pigeons ! » Je le menaçai vingt fois de ma lardoire. Mais il me répondait stupidement que la rue est à tout le monde. J’en portai plainte à M. le lieutenant-criminel, qui me fit justice en me débarrassant du vilain. Je ne sais ce qu’il est devenu ; mais je lui garde rancune du mal qu’il m’a fait ; car à voir mes pratiques ordinaires lui acheter ses pigeons par couples, voire par demi-douzaines, je pris une jaunisse dont je restai longtemps mélancolique. Je voudrais qu’on lui mît sur le corps,