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tomber sous ses soupçons injustes ou légitimes. Ces états procéderont de la médiocrité confuse des foules dont ils seront issus. Ils rouleront d’obscures et multiples pensées. Ils donneront pour tâche aux chefs du gouvernement d’exécuter des volontés vagues dont ils n’auront pas eux-mêmes conscience, et leurs ministres, moins heureux que l’Œdipe de la fable, seront dévorés tour à tour par le Sphinx aux cent têtes, pour n’avoir pas deviné l’énigme dont le Sphinx lui-même ignorait le mot. Leur plus grande misère sera de se résigner à l’impuissance, et de parler au lieu d’agir. Ils deviendront des rhéteurs, et de très mauvais rhéteurs, car le talent, apportant avec lui quelque clarté, les perdrait. Ils devront s’étudier à parler pour ne rien dire, et les moins sots d’entre eux seront condamnés à mentir plus que les autres. En sorte que les plus intelligents deviendront les plus méprisables. Et s’il s’en trouve encore d’assez habiles pour conclure des traités, régler les finances et