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vous m’en croyez, nous prendrons le frais un moment sur ces vieilles pierres luisantes, où tant de gueux sont venus, avant nous, reposer leurs misères. Il se peut que deux ou trois de ces innombrables malheureux y aient échangé entre eux des propos excellents. Nous risquerons d’y attraper des puces. Mais étant, mon fils, dans l’âge des amours, vous croirez que ce sont celles de Jeannette la vielleuse ou de Catherine la dentellière, qui ont coutume d’y amener leurs galants à la brune, et leur piqûre vous sera douce. C’est une illusion permise à votre jeunesse. Pour moi, qui ai passé l’âge des charmantes erreurs, je me dirai qu’il ne faut pas trop accorder aux délicatesses de la chair et que le philosophe ne doit pas s’inquiéter des puces, qui sont, comme le reste de l’univers, un grand mystère de Dieu.

Ce disant, il s’assit en prenant soin de ne point déranger un petit Savoyard et sa marmotte qui dormaient leur sommeil innocent sur le vieux banc de pierre. Je pris place à