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se chauffa les pieds, assis sur une selle de mulet. La nuit et le brouillard resserraient leur cercle autour de lui. Il entendait au loin le hennissement des chevaux et le cri régulier des sentinelles. Le capitaine était là depuis quelque temps, anxieux, triste, le regard fixé sur les cendres du brasier, quand une grande forme vint, sans bruit, se dresser à son côté. Il la sentait près de lui et n’osait tourner la tête. Il la tourna pourtant et reconnut le capitaine Demarteau, son ami, qui, selon sa coutume, appuyait à la hanche le dos de sa main gauche et se balançait légèrement. À cette vue le capitaine Aubelet sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Il ne pouvait douter que son frère d’armes ne fût près de lui et il lui était impossible de le croire, puisqu’il savait que le capitaine Demarteau se trouvait alors sur le Mein, avec Jourdan, que menaçait l’archiduc Charles. Mais l’aspect de son ami ajoutait à sa terreur, par quelque chose d’inconnu qui se mêlait à son parfait naturel. C’était Demarteau et c’était en même temps ce que personne n’eût pu voir sans