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que je pratiquais avec facilité. Tout à coup, dans un éclair de génie, j’eus l’idée de représenter les bras et les jambes, non plus par un seul trait, mais au moyen de deux lignes parallèles. J’obtins ainsi une surface qui donnait l’illusion de la réalité. C’était la vie même. J’en demeurai ravi. Dédale, quand il fit des statues qui marchaient, ne fut pas plus content du travail de ses mains. J’aurais pu me demander si j’avais été le premier à imaginer un si bel artifice et si je n’en avais pas déjà vu des exemples. Mais je ne me le demandai pas. Je ne me demandai rien, et les yeux écarquillés et tirant une langue d’une aune, stupide, je contemplai mon ouvrage. Puis, comme il est dans la nature des artistes de proposer leurs œuvres à l’admiration des hommes, je m’approchai de ma mère qui lisait dans un livre et, lui présentant mon papier barbouillé, je criai :

— Regarde !

Voyant qu’elle ne faisait aucune attention à ce que je lui montrais, je mis mon soldat sur le livre qu’elle lisait.

Elle était la patience même.

— C’est très bien, me dit-elle avec douceur, mais d’un ton qui montrait qu’elle ne