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dévorais des yeux ; pendant les trois quarts d’heure que durait la leçon, je buvais le jour de ses prunelles. Elles me semblaient, ces prunelles, une étonnante merveille. Et aujourd’hui encore, après tant d’années, je crois que c’en était une. Elles semblaient faites d’une violette de Parme ; de longs cils y donnaient de l’ombre. Je n’ai rien oublié de ce joli visage : mademoiselle Mérelle avait les narines un peu ouvertes, roses en dedans comme le nez de minette ; les coins de sa bouche se retroussaient légèrement et il y avait sur sa lèvre un fin duvet dont mes yeux d’enfant, grossissants comme une loupe, distinguaient les poils imperceptibles. Les loisirs que me laissait mon institutrice, je les employais, non à lire les fables de La Fontaine, comme elle me le conseillait, mais à la contempler et à rechercher quelles sortes de lettres elle pouvait bien écrire ; et je me persuadai que c’étaient des lettres d’amour. Je ne me trompais pas, à cela près que nous ne nous faisions pas alors, mademoiselle Mérelle et moi, la même idée de l’amour. M’étant demandé ensuite à quelles sortes de personnes elle écrivait, je me figurai que c’était aux anges du paradis, non que ce