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barbue que je savais, pour l’avoir entendu dire à M. Dubois, être celle de Jupiter Trophonius. Et la barbe d’un si grand dieu me faisait impression. M. Debas ayant revêtu une blouse blanche monta à l’échelle et déjà Jupiter Trophonius gisait sur le plancher, détaché de sa colonne d’où s’échappaient des flots de suie, tandis que le poêle lui-même, disloqué, rompu, couvrait de ses débris la salle entière et que des nuages de cendre froide assombrissaient l’air. Les ténèbres furent accrues par une poudre subtile qui monta au plafond pour descendre ensuite lentement en couche épaisse sur les meubles et les tapis. M. Debas gâchait du plâtre dans une auge débordante et dégouttante. Visiblement il se réjouissait de travailler à l’exemple du dieu qui tira l’univers des abîmes du chaos. À ce moment, la vieille Mélanie pénétra, son cabas sous le bras, dans la salle, promena de haut en bas et de long en large des regards désolés, poussa un long gémissement et demanda :

— Alors, comment que je ferai pour servir le dîner de mes maîtres ?

Puis, sans espoir d’une réponse heureuse, elle s’en alla aux provisions.