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égoïste, avide de soins et d’amour, je voulais que l’univers entier s’occupât de moi, fût-ce pour me tourmenter ; et, à l’âge de cinq ans, je n’avais pas encore dépouillé le vieil homme.

Quand les dames et les demoiselles, lasses de travailler, pliaient leur ouvrage, on jouait à l’oie ou au loto. Le loto ne me plaisait pas. Je ne dis point que mon intelligence en pénétrait la morne stupidité. Mais c’est un fait qu’il ne contentait pas mes jeunes esprits. Tout en chiffres, il ne parlait pas à mon imagination. Et il fallait bien que mes partenaires aussi le trouvassent trop abstrait, puisqu’ils s’efforçaient à l’envi de l’animer par de plaisantes fantaisies, non point tirées de leur cerveau, certes, mais reçues des aïeux, et en prêtant aux chiffres arabes des ressemblances avec quelque objet sensible : 7 la pioche, 8 la gourde, 11 les deux jambes, 22 les deux cocottes, 33 les deux bossus, ou bien en ajoutant à l’énoncé trop froid du nombre un ornement poétique, comme : 9, je tiens mon pied de bœuf. Il était enfin de très vieilles façons d’appeler les nombres et que madame Laroque demeurait seule à savoir, telles que : 1 cheveu sur la tête à Mathieu, et 2 testaments, l’ancien et le nou-