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On ne me fit pas de reproches. Mon père, plus pâle que de coutume, affectait de ne pas me voir. Ma mère, les joues ardentes, m’observant à la dérobée, épiait sur mon visage le crime ou la folie. C’est mon parrain dont l’aspect était le plus déplorable. Les coins de sa bouche, si joliment encadrée d’ordinaire par des joues rondes et un menton gras, tombaient tristement. Et, derrière ses lunettes d’or, ses yeux, naguère vifs, ne brillaient plus.

Quand Mélanie servit le civet, elle avait les yeux rouges et des larmes coulaient sur ses joues. Je n’y pus tenir, et, me levant de table, je me jetai sur ma vieille amie, l’embrassai de toutes mes forces et fondis en larmes.

Elle tira de la poche de son tablier son mouchoir à carreaux, m’essuya doucement les yeux de sa main noueuse qui sentait le persil, et me dit avec des sanglots :

— Ne pleurez pas, monsieur Pierre, ne pleurez pas.

Mon parrain se tournant vers ma mère :

— Pierrot n’a pas mauvais cœur, dit-il ; mais c’est un enfant unique. Il est seul ; il ne sait que faire. Mettez-le en pension : il sera