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familiers, les arbres élevant en bouquets leurs cimes, naguère sombres et violettes, maintenant revêtues de vert tendre, les petits tapis rayés des cultures aux pentes des collines, et les lignes de peupliers sur le bord des rivières. Le voyage coulait égal pour elle ; elle goûtait la plénitude des heures vécues et l’étonnement des joies profondes. Et c’est avec un sourire de dormeuse éveillée qu’à l’arrêt du train, sous le jour livide de la gare, elle accueillit son mari heureux de la retrouver. En embrassant la bonne madame Marmet, elle lui dit qu’elle la remerciait de tout son cœur. Et vraiment, elle rendait grâce à toutes choses, comme le saint François de M. Choulette.

Au fond du coupé, qui suivait les quais dans la poussière lumineuse du couchant, elle écouta sans impatience son mari, lui confiant ses succès de tribune, les intentions de son groupe parlementaire, ses projets, ses espérances et la nécessité de donner deux ou trois grands dîners politiques. Elle ferma les yeux pour mieux songer. Elle se dit : « J’aurai une lettre demain, et je le reverrai dans huit jours. » Quand le coupé passa sur le pont, elle regarda cette eau qui roulait des flammes, ces arches enfumées, ces lignes de platanes, les têtes fleuries des marronniers sur les quinconces du Cours-la-Reine ; tous ces aspects