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Choulette, bondissant d’un buisson de cytises, avait soudainement embrassé la femme de chambre qui portait les manteaux et les sacs dans la voiture. Maintenant il fuyait par les allées, joyeux, hirsute, les oreilles dressées comme des cornes aux côtés de son crâne poli. Il salua la comtesse Martin.

— Il faut donc vous dire adieu, madame ?

Il restait en Italie. Une Dame l’appelait, disait-il ; c’était Rome. Il voulait voir les cardinaux. L’un d’eux, qu’on vantait comme un vieillard plein de sens, entrerait peut-être dans l’idée de l’église socialiste et révolutionnaire. Choulette avait son but : planter sur les ruines de la civilisation injuste et cruelle la croix du Calvaire, non plus morte et nue, mais vive et de ses bras fleuris ombrageant le monde. Il fondait, dans ce dessein, un ordre et un journal. L’ordre, madame Martin le connaissait. Le journal serait à un sou, et rédigé en phrases rythmées et en vers de complainte. Il pourrait, devrait être chanté. Le vers, très simple, violent ou joyeux, était en définitive l’unique langage qui convînt au peuple. La prose ne plaisait qu’aux gens d’une intelligence très subtile. Il avait fréquenté les anarchistes chez les troquets de la rue Saint-Jacques. Ils passaient leur soirée à dire et à écouter des romances.