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Il se pencha sur les beaux yeux vagues qui reflétaient les lueurs du foyer. Mais elle le rassura :

— Je ne sais pas du tout si on parle de moi. Et qu’est-ce que cela me fait ? Rien ne fait rien.

Il la quitta. Il allait dîner au cercle, où son ami Caumont, de passage à Paris, l’attendait. Elle le suivit des yeux avec une sympathie paisible. Puis elle se remit à lire dans les cendres.

 


Elle y revit les jours de son enfance, le château dans lequel elle passait les grands étés tristes, les bois taillés, le parc humide et sombre, le bassin où dormaient les eaux vertes, les nymphes de marbre sous les marronniers et le banc sur lequel elle pleurait et désirait mourir. Aujourd’hui encore, elle ignorait la cause de ces jeunes désespoirs, alors que l’éveil ardent de son imagination et le travail mystérieux de sa chair la jetaient dans un trouble mêlé de désirs et de craintes. Enfant, la vie lui faisait envie et peur. Et maintenant elle savait que vivre ne vaut pas tant d’inquiétude ni d’espérance, que c’est une chose très ordinaire. Elle devait s’y attendre. Pourquoi ne l’avait-elle pas prévu ? Elle songeait :

— Je voyais maman. C’était une bonne dame très simple et pas très heureuse. Je rêvais une destinée tout autre que la sienne. Pourquoi ? Je sentais autour de moi le goût fade de la vie, et