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semblait clair, aimable et bon, parce que, avec une candeur souveraine, je ramenais tout à mon idéal d’enfant.

Je m’endormis dans la résolution d’aller vivre au milieu de ce jardin pour acquérir des mérites et devenir l’égal des grands saints dont je me rappelais l’histoire fleurie.

Le lendemain matin, ma résolution était ferme encore. J’en instruisis ma mère. Elle se mit à rire.

— Qui t’a donné l’idée de te faire ermite sur le labyrinthe du Jardin des Plantes ? me dit-elle en me peignant les cheveux et en continuant de rire.

— Je veux être célèbre, répondis-je, et mettre sur mes cartes de visite : « Ermite et saint du calendrier », comme papa met sur les siennes : « Lauréat de l’Académie de médecine et secrétaire de la Société d’anthropologie. »

À ce coup, ma mère laissa tomber le peigne qu’elle passait dans mes cheveux.

— Pierre ! s’écria-t-elle, Pierre ! quelle folie et quel péché ! Je suis bien malheureuse ! Mon petit garçon a perdu la raison à l’âge où l’on n’en a pas encore.