Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais elle a, pour n’en pas convenir, plusieurs raisons que je découvre mieux encore qu’elle ne ferait elle-même.

Elle veut s’entendre dire encore et toujours que sa petite enfant est jolie. En le disant elle-même, elle croirait manquer à certaine bienséance, et ne pas montrer toute la délicatesse qu’il faut. Elle craindrait surtout d’offenser on ne sait quelle puissance invisible, obscure, qu’elle ne connaît pas, mais qu’elle sent là, dans l’ombre, prête à punir sur leurs bébés les mamans qui s’enorgueillissent.

Et quel heureux ne le craindrait pas, ce spectre si certainement caché dans les rideaux de la chambre ? Qui donc, le soir, pressant dans ses bras sa femme et son enfant, oserait dire, en présence du monstre invisible : « Mes cœurs, où en sommes-nous de notre part de joie et de beauté ? » C’est pourquoi je dis à ma femme :

— Vous avez raison, chère amie, vous avez toujours raison. Le bonheur repose ici, sous ce petit toit. Chut ! Ne faisons pas de bruit : il s’envolerait. Les mères athéniennes craignaient