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dignité de la science, je me tus. Mais les coquilles m’ayant causé un chatouillement pénible, je portai la main à mon nez et je constatai alors, à ma grande surprise, que mes lunettes en chevauchaient l’extrémité et que je voyais la dame non à travers, mais par-dessus les verres, chose incompréhensible, puisque mes yeux, usés sur les vieux textes, ne distinguent pas sans bésicles un melon d’une carafe, placés tous deux au bout de mon nez.

Ce nez, remarquable par sa masse, sa forme et sa coloration, attira légitimement l’attention de la fée, car elle saisit ma plume d’oie, qui s’élevait comme un panache au-dessus de l’encrier, et elle promena sur mon nez les barbes de cette plume. J’eus parfois, en compagnie, l’occasion de me prêter aux espiègleries innocentes des jeunes demoiselles qui, m’associant à leurs jeux, m’offraient leur joue à baiser à travers un dossier de chaise ou m’invitaient à éteindre une bougie qu’elles élevaient tout à coup hors de la portée de mon souffle. Mais jusque-là aucune personne du sexe ne m’avait soumis à des caprices aussi familiers que de m’agacer les narines avec les barbes de ma propre plume. Je me rappelai heureusement