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Il avait aussi la fureur de l’art impersonnel. Il disait : « L’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu. » Cette manie lui inspira des théories fâcheuses. Mais il n’y eut pas grand mal en fait. On a beau s’en défendre, on ne donne des nouvelles que de soi et chacune de nos œuvres ne dit que nous, parce qu’elle ne sait que nous. Flaubert crie en vain qu’il est absent de son œuvre. Il s’y est jeté tout en armes, comme Decius dans le gouffre.

Quand on y prend garde, on s’aperçoit que les idées de Flaubert ne lui appartenaient pas en propre. Il les avait prises de toutes mains, se réservant seulement de les obscurcir et de les confondre prodigieusement. Théophile Gautier, Baudelaire, Louis Bouilhet pensaient à peu près comme lui. Le Journal des Goncourt est bien instructif à cet égard. On voit quel abîme nous sépare des vieux maîtres, nous qui avons appris à lire dans les livres de Danvin, de Spencer et de Taine. Mais voici qu’un abîme aussi large se creuse entre nous et la génération nouvelle. Ceux qui viennent après nous se moquent de nos méthodes et de nos analyses. Ils ne nous entendent pas et, si nous n’y prenons garde de notre côté, nous ne saurons plus même ce qu’ils veulent dire. Les idées, en ce siècle, passent avec une effrayante rapidité. Le naturalisme que nous avons vu naître expire déjà, et il semble que le symbolisme soit près de le rejoindre au sein de l’éternelle Maïa.

Dans cet écoulement mélancolique des états d’âmes et des modes de penser, les œuvres du vieux Flau-