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LES IDÉES
DE GUSTAVE FLAUBERT[1]

À propos de l’opéra de Salammbô, on a beaucoup parlé de Flaubert. Flaubert intéresse les curieux, et il y a à cela une raison suffisante : c’est que Flaubert est très intéressant. C’était un homme violent et bon, absurde et plein de génie, et qui renfermait en lui tous les contrastes possibles. Dans une existence sans catastrophes ni péripéties, il sut rester constamment dramatique ; il joua en mélodrame la comédie de la vie et fut, dans son particulier, tragikôtatos, comme dit Aristote. Tragikôtatos, il le serait aujourd’hui plus que jamais, s’il voyait sa Salammbô mise en opéra. À ce spectacle horrible quel éclair sortirait de ses yeux ! quelle écume de sa bouche ! quel cri de sa poitrine ! Ce serait pour lui le calice amer, le sceptre de roseau et la couronne d’épines, ce serait les mains clouées et le flanc ouvert…

  1. Cet article a été fait à propos d’une Étude très remarquée de M. Henry Laujol dans la Revue bleue.