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LA VIE LITTÉRAIRE.

en dilettante, comme Chateaubriand, les chefs-d’œuvre de la pénitence. Son profane reliquaire contenait un peu de la cendre d’Héloïse, recueillie dans le tombeau du Paraclet ; une parcelle de ce beau corps d’Inès de Castro, qu’un royal amant fit exhumer pour le parer du diadème ; quelques brins de la moustache grise de Henri IV, des os de Molière et de La Fontaine, une dent de Voltaire, fine mèche des cheveux de l’héroïque Desaix, une goutte du sang de Napoléon, recueillie à Longwood[1].

Et sans chicaner sur l’authenticité de ces restes, il faut convenir que c’était bien là les reliques chères à un homme qui avait beaucoup aimé en ce monde la beauté des femmes, assez compati aux souffrances du cœur, goûté en délicat la poésie alliée au bon sens, estimé le courage, honoré la philosophie et respecté la force. Devant ce reliquaire, Denon pouvait, du fond de sa vieillesse souriante, revoir toute sa vie et se féliciter de l’emploi riche, divers, heureux, qu’il avait su donner à tous ses jours. Petit gentilhomme de forte sève bourguignonne, né sur cette terre légère du vin où les cœurs sont naturellement joyeux, il avait sept ans, quand une bohémienne qu’il rencontra sur un chemin lui dit sa bonne aventure ; « Tu seras aimé des femmes ; tu iras à la cour ; une belle étoile luira sur toi. » Cette destinée s’accomplit de point en point ; Denon alla tout jeune chercher fortune à Paris. Il fréquentait les coulisses de

  1. La relique de Molière du cabinet du baron, vivant Denon, par M. Ulric Richard-Desaix. Paris, Vignères, 1880, pp. 11 et 12.