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n’avait oublié le nom d’une crémière ou d’un portier, dédaignait de retenir les noms des plus illustres comédiens.

— Dauville, mon ami, reprenez-moi ça.

Il jouait tous les rôles. Joyeux, funèbre, violent, tendre, impétueux, caressant, il prenait une voix tour à tour grave et flûtée ; il soupirait, il rugissait, il riait, il pleurait. Il se transformait, ainsi que l’homme du conte populaire, en flamme, en fleuve, en femme, en tigre.

Dans les coulisses, les comédiens n’échangeaient entre eux que des propos insignifiants et brefs. Leur liberté de parole, leur facilité de mœurs, la familiarité de leurs habitudes ne les empêchaient pas de garder ce que, dans toute réunion d’hommes, il faut d’hypocrisie pour que les gens puissent se regarder les uns les autres sans horreur et sans dégoût. Même il régnait dans cet atelier d’art en pleine activité une belle apparence d’accord et d’union, un sentiment