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core bien l’impression que me fait ce style singulier, d’une gravité coquette, d’un laisser-aller si concis, d’une force si fine, si malin dans sa froideur, si détaché en même temps que si curieux, haché, heurté comme des notes jetées au hasard, et cependant voulu. Il me semble voir une intelligence, sérieuse et austère par nature, s’habillant d’esprit par convention. L’auteur désira piquer autant qu’instruire. Le penseur est aussi bel-esprit, le jurisconsulte tient du petit-maître et un grain des parfums de Gnide a pénétré dans le tribunal de Minos. C’est l’austérité telle que l’entendait le siècle en philosophie et en religion. Dans Montesquieu, la recherche, s’il y en a, n’est pas dans les mots, elle est dans les choses. La phrase court sans gêne et sans façon, mais la pensée s’écoute.

LXIII. — LA MAUVAISE HONTE.

La mauvaise honte est un démon bizarre comme celui qui essaya de duper Faust. Attaquée dès son apparition par la bonté, elle est sans force, elle s’évapore : c’est un brouillard. A-t-elle eu le temps de croître, de s’armer d’un sophisme, de se cuirasser d’un principe, elle se durcit, elle est invincible : c’est un roc.

LXIV. — UTILITÉ DES ÉLOGES.

L’éloge nous est souvent aussi utile que le blâme ou que le conseil. Il est bon de savoir l’impression qu’on fait et ce qu’on vaut pour autrui en monnaie