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lumière de la pensée, les Germains du midi (par exemple : Baader, Schelling, Eschenmayer, Schubert, Buquoy, Oken, etc., etc.) sont un peu de la religion de Cybèle. Leur style, plus concret et plus chaud, est plus pénétré d’images, de couleurs, de matière pour ainsi dire ; mais en revanche il est plus désordonné, et laisse à désirer plus de netteté et de rigueur. La matière en fusion n’est pas chez eux assez dominée et maîtrisée par la forme. Ils pythonisent plus qu’ils ne raisonnent ; ils font deviner et sentir plus que penser ; ce sont des oracles plutôt que des philosophes.



XLII. — LES DIOSCURES DE WEIMAR.


En achevant les Correspondances de Schiller avec Humboldt, et de Gœthe avec Zelter, je suis frappé de bien des choses : de l’absence d’esprit religieux dans les deux grands poètes allemands, du manque d’instruction de Schiller, de la sécheresse de Gœthe, du déplacement et de l’élargissement de l’horizon intellectuel d’alors. On sent un autre âge et d’autres hommes et le monde a marché. — L’absence de religion donne, même au sérieux de ces deux grands hommes, quelque chose de superficiel. Le manque de faits, de réalité, de base, rend parfois les idées de Schiller tranchantes et fragiles comme l’abstraction. Gœthe reste étranger à l’histoire, et toutes les luttes de son pays, tous ses malheurs, de 1800 à 1815, ne lui arrachent ni un soupir ni une réflexion. L’égoïsme a été l’étroitesse de cet esprit si large, et, par une juste