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AMÉLIE

nécessaire dans le voisinage des précipices.

Aussitôt que mon gaillard, qui s’était ménagé, vit le moment favorable, il se mit en devoir d’en profiter, et plus hardi qu’un page, il me renverse, me fait un oreiller de sa besace, et d’une main luxurieuse, et vraiment monacale, il découvre l’autel, où, de par saint François et son merveilleux cordon, il fait vœu d’aimer toute la vie. Hors d’état de me défendre contre une attaque aussi imprévue, je me laisse gouverner par ce saint directeur, et plusieurs fois dans un instant, car ces moments-là sont bien courts, les portes du paradis s’ouvrent pour moi, et me laissent jouir des plaisirs réservés aux bienheureux qui l’habitent.

Mon bonheur venait de cesser, l’ivresse de mes sens avait disparu, mais ma raison faisait encore de vains efforts pour retrouver le calme que Bacchus avait si vivement troublé : mon capucin, qui s’en aperçoit, pour détourner les reproches que méritait sa conduite, et dont il sentait bien que je l’accablerais, si j’étais une fois rendue à moi-même, eut recours à une fiole de liqueur qu’il avait dans un coin de sa besace ; il la porta à ma bouche, que j’ouvris machinalement, et en y répandant cette eau spiritueuse, il aggrava les torts qu’il devait réparer.

Immobile alors, et privée de toutes mes facultés, je m’étendis sur l’herbe, où je m’endormis profondément.