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AMÉLIE

pas encore bien avancée en âge, le ciel m’a déjà mise à de rudes épreuves ; j’espère cependant encore assez en sa bonté, pour ne pas trop m’inquiéter.

— Vous fuyez donc quelque suborneur qui cherche à vous ravir ce bien si précieux auquel vous paraissez tant attachée.

— Oui, vous l’avez deviné, je fuis un homme dont la passion pour moi était si violente, que je me voyais forcée de me rendre à ses désirs, ou d’éprouver de sa part les plus durs traitements.

Pendant que je parlais, mon capucin me regardait avec des yeux pleins de luxure, où je voyais briller les éclairs du désir.

— Asseyons-nous un peu, me dit-il, vous paraissez fatiguée ; j’ai là des vivres et du vin, permettez que je vous offre un goûter, indigne sans doute de vous être présenté, mais que l’appétit et le bon cœur assaisonneront.

Je ne me fais point prier, j’accepte avec reconnaissance le goûter champêtre de l’amoureux quêteur. Il tire de sa besace du pain, un bon poulet rôti et une bouteille de vin, et me voilà en devoir de restaurer mon estomac, que la fatigue avait un peu délabré. Il faisait chaud, nous n’avions point de verre ; à même la bouteille, on boit plus qu’on ne veut ; la seconde entamée, il fallut l’achever : ma foi, ma raison se noya, et mon esprit perdit l’équilibre si