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AMÉLIE

aussi écouté favorablement les tendres protestations d’amour d’un jeune homme du voisinage que j’aimais éperdument ; mais l’inégalité de nos conditions fut un obstacle invincible à notre mariage. Ma mère, qui jouissait des prérogatives de la noblesse, et qui tenait fortement aux préjugés, ne voulut jamais consentir à donner sa fille au fils d’un roturier, quoique riche, d’une famille honnête et sans reproche : il n’y avait qu’un homme de condition qui pût espérer de m’obtenir ; l’amant que je chérissais fut éconduit, cependant avec tous les ménagements qu’on devait à sa position affligeante.

Comment ne pas gémir sur la faiblesse des parents qui sacrifient ainsi ce qu’ils ont de plus cher, à ce qu’ils appellent le point d’honneur ; qui, forçant impitoyablement l’inclination de leurs enfants, les rendent victimes de leurs sots préjugés, et les exposent à tous les égarements d’une jeunesse imprudente qui n’a que son cœur pour guide, et la jouissance pour but ?

Il semble qu’il suffise de défendre une chose, pour qu’on brûle de se la procurer, à quelque prix que ce soit ; aussi notre tendresse mutuelle, qui d’abord avait été très innocente, acquit de nouvelles forces par ce refus, et se changea en une passion impétueuse, qui nous fit connaître l’étendue de notre amour, en nous faisant chercher à le satisfaire.

Mon pauvre amant pleurait en silence la perte