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LINGUISTIQUE

jours à indiquer une origine géographique, une qualité apparente ou quelque comparaison avec d’autres espèces. Plus un nom est bref, plus il mérite qu’on en tienne compte dans la question d’origine ou d’ancienneté, car c’est à la suite des années, des migrations de peuples et des transports de plantes que s’ajoutent les épithètes souvent erronées. De même, dans les écritures symboliques, comme celles des Chinois et des Égyptiens, les signes uniques et simples font présumer des espèces anciennement connues, ne venant pas de pays étrangers, et les signes compliqués sont suspects ou indiquent une origine étrangère. N’oublions pas cependant que les signes ont été souvent des rébus, basés sur des ressemblances fortuites de mots, ou sur des idées superstitieuses et fantastiques.

L’identité d’un nom vulgaire pour une espèce dans plusieurs langues peut avoir deux significations très différentes. Elle peut venir de ce qu’une plante a été transportée par un peuple qui s’est divisé et dispersé. Elle peut résulter aussi de ce qu’une plante a été transmise d’un peuple à l’autre avec le nom du pays d’origine. Le premier cas est celui du chanvre, dont le nom est semblable, au moins quant à sa racine, dans toutes les langues dérivées des Aryas primitifs. Le second se voit dans le nom américain du tabac et le nom chinois du thé, qui se sont répandus dans une infinité de pays, sans aucune filiation linguistique ou ethnographique. Ce cas s’est présenté plus fréquemment dans les temps modernes que dans les anciens, parce que la rapidité des communications permet aujourd’hui d’introduire à la fois une plante et son nom, même à de grandes distances.

La diversité des noms pour une même espèce peut avoir aussi des causes variées. En général, elle indique une existence ancienne dans divers pays, mais elle peut aussi provenir du mélange des peuples ou de noms de variétés qui usurpent le nom primitif. Ainsi, en Angleterre, on peut trouver, suivant les provinces, un nom celte, saxon, danois ou latin, et nous voyons en Allemagne les noms de Flachs et Lein pour le lin, qui ont évidemment des origines différentes.

Lorsqu’on veut se servir des noms vulgaires pour en tirer certaines probabilités sur l’origine des espèces, il faut consulter les dictionnaires et les dissertations des philologues, mais on est obligé d’estimer les chances d’erreur de ces érudits, qui, n’étant ni agriculteurs ni botanistes, peuvent s’être trompés dans l’application d’un nom à une espèce.

Le recueil le plus considérable de noms vulgaires est celui de Nemnich[1], publié en 1793. J’en possède un autre, manuscrit, plus étendu encore, rédigé dans notre bibliothèque par mon ancien élève Moritzi, au moyen des flores et de plusieurs livres

  1. Nemnich, Allgemeines polyglotten-Lexicon der Naturgeschichte, 2 vol. in-4.