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le monde se livrait au négoce : en vain les lois avaient voulu l’interdire aux patriciens ; le besoin de s’enrichir, dans un pays où la noblesse n’avait d’autre origine que le travail, prévalut toujours.

L’orgueil national et le soin de tout rapporter aux intérêts de la république étaient manifestes dans ces terribles statuts de l’inquisition, qui condamnaient à mort tout prêtre assez mauvais citoyen pour défendre les injustes prétentions de la cour de Rome, et tout ouvrier, appartenant à la marine ou à l’industrie, qui aurait porté dans un pays étranger les secrets procédés de son art.

Un autre avantage particulier à la forme de ce gouvernement, c’est que l’autorité y remuait par tant de ressorts et de contrepoids, qu’elle ne pouvait non plus tomber aux mains d’un seul que de la multitude. C’était la tyrannie, mais une tyrannie mixte ; tous les pouvoirs y étaient despotes, c’est pourquoi tous y étaient esclaves ; d’où il suit qu’aucun ne pouvait seul parvenir à l’extrême despotisme, ni glisser dans l’entière servitude. La situation géographique de Venise eut une grande influence sur la durée de ses institutions. Faute de territoire, la féodalité n’avait pu s’y établir : ainsi point de fiefs, de seigneurs, de vassaux, et par là impossibilité aux princes ou aux grands de violer par les armes la liberté commune. Nul ne concentrant la puissance dans sa personne, on ne pouvait changer l’État par un coup de main. Pour qu’une conjuration eût réussi, il aurait fallu que la moitié des magistrats s’armât contre l’autre.

Une adroite maxime de ce gouvernement était celle qui favorisait les mariages des nobles avec des filles de plébéiens ; par là le commun peuple était flatté dans son abaissement, en même temps que les richesses qui l’auraient fait dangereux, étaient emportées vers la classe régnante. Pour garder