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SUR TALONS ROUGES

terres trévisiennes ; nous y passerons Carême et Pâques et même tout l’été.

Un feu de Bengale éclata sur les eaux miroitantes. La fumée brouilla l’atmosphère et sépara les masques. Une sérénade gouailleuse passa ainsi qu’une pluie de confetti. À l’improviste, un harpon accrocha le bras du domino noir et l’entraîna dans le canal. Lorsque le bon Pantalon parvint à le faire remonter, le feu de Bengale était éteint. Arlequin et le domino blanc, du haut de leur balcon, lançaient des pommes d’or.

Tiepolo peignait. Effacés contre un sombre arazzo, des guitaristes accroupis rhapsodiaient un poème passionné, une gitane basanée, roulée dans son châle de soie chamarrée à longues franges, dansait un drame d’amour. Plus loin, un nain et un singe s’amusaient assez drôlement avec une levrette, sous le regard stupéfait d’un perroquet qui les épiait du haut de son perchoir.

Tiepolo peignait des fresques sur les murs d’une grande salle de fêtes. Au milieu de la salle, une claire beauté était pompeusement assise dans un fauteuil, le coude gauche appuyé sur la tête dorée du lion de Saint-Marc peint et découpé sur un vieux carton défraîchi ; dans la main, elle tenait un thyrse mythique. Mais elle était trop charmante pour être vraiment pompeuse. Une large écharpe de soie rose brochée d’argent la drapait, telle une divinité grecque. Une guirlande