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L’ÉLÉGANTE VENGEANCE

Elle ajouta tout bas :

— Rentrons, je t’aime trop !

Pantalon s’excusa :

— Peut-être le théâtre vous a-t-il fatiguée. Les histrions ont trop crié pour vous plaire.

— Je n’ai jamais vu spectacle si charmant, fit le domino blanc en tendant une main ployante de rubis.

Le retour vers la ville fut entrecoupé de longs silences. Le gondolier chantait la ballade des sept sœurs qui moururent d’amour et d’enlizement dans les joncs des marécages.

Les masques se groupèrent sur les coussins de brocarts, sous la capote de velours et de dentelles de Venise. Ils étaient étourdis par les tourbillons bachiques d’un peuple grisé de joie. La Piazzetta, toute illuminée, semblait une mer de couleurs tournoyantes. De tous côtés, volaient des traînées de rubans et des gerbes de fleurs. Des paillettes tombaient, du haut des balcons, sur la foule criarde, et, du fond des gondoles, des mains agiles lançaient des fleurs dans les fenêtres ouvertes. Les mandolines trillaient aigrement des refrains populaires et des voix d’hommes chantaient burlesquement de vieilles complaintes.

La gondole s’arrêta devant un large perron que la mer enveloppait amoureusement. Arlequin, d’un bond, sauta sur les marches et aida le domino blanc à sortir de la barque. Puis, se tournant vers le domino noir :

— Bonsoir, ami ! Venez nous trouver dans nos